« Et si tu venais avec moi au « Livre sur la place » à Nancy ? J’y signe mon dernier livre.»
Bon, ça tombe bien je n’ai rien à y faire. Et assister à un salon littéraire, je ne l’ai jamais fait ; Normal, je ne suis pas écrivain et côté lecture, je débute.
Allons marchons ou plutôt TGVons. Samedi 9h05, gare de l’est, le banc et l’arrière banc du monde édité se bousculent à la remise des billets. C’est que les écrivains en général solitaires, voyagent en groupe. Ou, plutôt les éditeurs, pourvoyeurs officiels d’auteurs pour salons, regroupent leurs ouailles par wagon.
C’est un convoi. Et comme chacun sait, un qu’on voit, en vaut deux.
Et oui parce que dans ses salons, il y a des bons, des bons copains, des Borringer, des bons vivants, des bons écrivains et des bons vendeurs. Parce que le chaland vient voir le people. Et aussi parler, échanger, acheter. L’écrivain vient aussi parler, échanger, en un mot, vendre. Et pour ça certains y mettent tout leur cœur, toute leur âme. S’ils en avaient une.
De longs tréteaux, des linéaires d’auteurs, haute concentration au mètre carré, d’écrivains. Amis et ennemis, copains ou faux-cul.
The best : le jury du Goncourt hante les allées, ça bruisse en coulisses, de noms, de titres, de ragots et de critiques. Sagement assis derrière sa pile de livres, l’auteur armé d’un stylo, (s’il est rodé, d’un feutre), Ma copine n’avait même pas un stylo, elle a signé avec un bic des familles prêté par le librairie et normalement destiné à l’auteur des chèques (autrement dit le lecteur)
Certains distribuent des prospectus publicitaires, genre ciblé roman de l’été, (bien vu, on est en automne). D’autres piquent les clients, du copain à côté en les attirant sur son stand. Jaloux, de quoi je me mêle. Et ça peut marcher, le lecteur est volatile. A part celui qui achète ce qu’il est venu acheter, certains baguenaudent et se laissent enjôler par la couverture, le sourire de l’auteur, le décolleté de l’auteure ou la parole du bonimenteur obséquieux voire visqueux. Ce dernier, je l’ai nommé : le vendeur de voiture d’occase maquillée, le boutiquier du faubourg saint Antoine, le vendeur de jeans du Sentier.
A deux pas de notre pré carré, il est là. Le signateur qui vend et signe à qui mieux mieux voire à tire larigot, ses livres aux gogos.
Le genre soixantenaire sémillant, uvéisé, ridé (faudrait lui dire que tout ce soleil frelaté c’est pas bon pour la santé) surtout que de la santé, il en vend. Du bien-être, du bien penser, du bien aimer, du bien mourir, du bien souffrir, du bien partager. Lui du bien, il doit en avoir, parce qu’avec le nombre de bouquins qui défilent, ça doit aller. Je suis jalouse ? Non je suis…je suis aigrie, mal baisée, adepte de la souffrance sur terre et du meilleur pour l’au-delà ?
Non, mais trop c’est trop, il en fait trop, le messager de bonnes nouvelles. Il faut le voir prendre les mains des femmes (Ah, la femme) les serrer, les caresser, les malaxer, les embrasser, l’œil humide et bon, se penchant sur sa servante tel un Auguste magnanime. « Vous, lisez la page 71, vous la 43 »
« Vous êtes voyant », me risque- je ?
« Non j’observe et j’ai beaucoup fréquenté (moi j’aurais dit, sauté) les femmes, je les connais donc bien. On parle avec le corps. Cette femme, elle a du mal à recevoir. »
« Pour votre amoureux, ce sont des chansons qu’on lit en écoutant un concerto ».
Le pauvre Rachmaninov doit trampoliner dans sa datcha de l’au-delà.
« Je vais vous dire quelque chose sur vous. Vous voulez ?»
Celle-ci a l’air de sortir d’un livre du 19e siècle. Elle a pris un livre, « Pourquoi est-ce si difficile d’être heureux », l’a reposé, puis repris.
« Vous avez des difficultés à prendre une décision »
Pan, dans le mille, cher Emile Freud
« Je vais vous montrer le passage qui parle de vous »
Un vrai Sherlock. Et en plus il les fait pleurer et elles le remercient. C’est fou, c’est tout juste si on ne l’appelle pas maître. Maître étalon serait plus juste.
« La dédicace est : Pour le meilleur de vous. Car on pense à ce qui ne va pas mais il y a aussi ce qui va. »
De quoi se plaint-on ?
« Pour vous, ce sera : Pour accueillir le meilleur de la vie. »
Merci.
« Pour vous deux, les amoureux : pour aller plus loin ensemble. »
Ca cascade ça dégouline, ça coule, ça poisse, ça bourre, ça déborde. Mais ça vend.
En même temps, si ça fait du bien à toutes ces donzelles encalminées dans le quotidien, il aurait tort de se priver, le Cyrulnik du pauvre.
Enfin je me suis bien amusée, j’ai joué à la marchande avec les livres de ma copine (si, si elle a vendu, moi j’ai encaissé…pour le libraire) J’ai été invitée par son éditeur au dîner des écrivains, cool. J’ai rencontré des gens sympas et j’ai su qui couchait avec qui.
On avait beau être en province, on est parisien ou on ne l’est pas !