Moïse, un sourire sinon rien

Moïse. Ce n’est pas le prénom de tout le monde.
Il s’appelle Moïse. Moïse est un personnage au Monoprix de mon quartier. Grand black aux allures de pirate des Caraïbes, toujours la tête ceinte d’un fichu, il arpente à grandes enjambées le magasin en chantant et ponctuant ses aller-et-venues de pas de danse portant au bout des doigts les caddies vides qu’il fait habilement virevolter.
C’est son travail. Remettre les paniers à bras et paniers à roulettes qui s’entassent aux caisses, à l’entrée du magasin. Autant dire le tonneau des Danaïdes.
Rien de mirifique dans cette activité, de passionnant ou de singulier. Rien que de très banal et de routinier. Pas de quoi rigoler.

Un autre s’étiolerait, se renfermerait, deviendrait aigri ou revanchard. Lui, non. Du moins, il ne le montre pas.

Pour écarter les ménagères de moins ou de bien plus de 50 ans et se frayer un chemin jusqu’à l’objet de ses délires, Moïse se noie dans des phrases fleuries qualifiant matrones et péronnelles sans distinction, de « belles chéries », « de merveilleuses roses » ou encore de « beautés des îles vierges ». Il extirpe les paniers de dessous les caisses passant ses grandes mains et ses longs bras entre les gambettes des dames. Puis il les fait glisser et s’en empare. Delà il les balance en un mouvement tournant au-dessus de sa tête et tel un jongleur, leur fait traverser l’espace et tenir en équilibre à bout de bras, tout en chantonnant une mélopée dont il a le secret. Il s’en retourne vers l’entrée pour abreuver la clientèle avide de contenants.
De temps en temps, il a un pas de patineur, effleurant à peine le sol de ses pieds légers, comme si le carrelage se changeait en lac des cygnes. Toujours le sourire, toujours un mot chantant, mais Moïse n’est pas le ravi de la crèche qu’on pourrait croire. Il ne me semble pas un homme toujours content de son sort quoi qu’il se passe, voyant toujours la bouteille à moitié pleine, l’incendie qui n’a pas eu lieu, le pot de fleur tombé à côté du passant sans le blesser…

Je l’ai croisé quelquefois dans le métro attendant sur le quai. Là point de sourire niais, point de chanson. Point de représentation. Il est comme tous les parisiens : ni gais ni tristes. Car contrairement à ce que croient les provinciaux qui empruntent le métro une fois l’an, le parisien ne fait pas la gueule. Non. Simplement il ne voit pas pourquoi il devrait sourire bêtement et sans raison aux voyageurs qui montent et descendent. Mais si les provinciaux veulent afficher une bouche étirée façon Nicholson-Joker dans le « vieux » Batman, surtout qu’ils ne s’en privent pas. Là, ça nous fera rigoler.
Je dis « vieux » Batman depuis que j’ai entendu deux « jeunes » de 18 ans débattre des films à voir dont Batman : « mais lesquels de Batman, disait l’un d’eux, les vieux ou ceux de maintenant ? » Mon oreille s’est dressée. J’avais adoré le premier Batman. « Parce que les vieux, c’est même pas la peine de les regarder, c’est de la daube. » J’étais verte. Les vieux, c’est-à-dire de 1989 à 1997. Bref, ces gamins n’étaient pas nés. Mais de là à qualifier l’œuvre de Tim Burton de « vieux »…Est-ce qu’ils savent que le comics date de 1939…mais je m’égare.

Bref, Moïse est un parisien, un banlieusard, comme un autre. Mais lui, réchauffe la vie monotone et sans perspective de légèreté. Il a cette politesse. Il a l’âme réjouie, le cœur joyeux et les yeux pétillants des êtres qui se cachent derrière leurs sourires tout en les offrant à ceux qui les croisent.
Merci Moïse. Merci pour tout.

Et pour les gamins qui trouvent Batman vieux, je leur conseille Méliès !

Une réponse à “Moïse, un sourire sinon rien

  1. Merci de me déculpabiliser de ma gueule – c’est vrai quoi ! – En revanche le sourire me vient, bienveillant, quand les familles en w-e à Paris s’exclament dans le 95 : « ouah, t’as vu, c’est quoi ? » devant la pyramide du Louvre au moment où le petit dernier pointe du doigt de l’autre côté en hurlant « touréfèle ! touréfèle ! touréfèle ! »

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