Lucrèce s’effondre avec grâce avant de mourir, lâchant dans un souffle « je suis ta mère » à Gennaro, le fils qu’elle a eu avec son frère. Dit comme ça, cela pourrait faire sourire, surtout si vous pensez à Dark Vador et à son célèbre « je suis ton père » . Surtout si vous imaginez Guillaume Gallienne incarnant la sulfureuse héroïne et que son fils est joué non par un comédien mais une comédienne, Suliane Brahim.
Mais quand le jeu est incarné, pas de sourire à la fin de Lucrèce Borgia de Victor Hugo dans la mise en scène de Denis Podalydès. Et quand le Noir se fait, retentissent des bravos, de nombreux rappels et des applaudissements qui n’en finissent pas. Lucrèce Borgia est un succès, un vrai.
Lucrèce, fille du pape, a épousé le duc de Ferrare (Eric Ruff, également scénographe) qui la soupçonne de le tromper avec un jeune capitaine de Venise. Il se trompe. Gennaro n’est pas son amant mais son fils et l’impitoyable duchesse, femme de pouvoir, aimerait lui révéler la vérité et par là échapper à son destin de meurtres et d’infamie. Mais rien ne pourra sauver la mère et le fils, pris au piège de leurs propres desseins.
Sur la scène, au lever de rideau, une gondole noire apparait sous un ciel tourmenté. Le décor est posé. Guillaume Gallienne, avance comme marchant sur les eaux, passant d’un petit pont à un autre, torse nu avant d’enfiler sur scène le reste de son costume qui transformera le comédien en personnage féminin. Rien de gênant ou même d’artificiel. Le parti-pris de mise en scène est posé. Si l’incarnation de Gennaro par une femme m’a dérangée au début, plus à cause de sa voix que par son physique androgyne, Suliane Brahim a emporté mes réticences par sa fougue et son talent.
Le déroulement implacable se poursuit. Lucrèce affronte son mari dans un duel de pouvoir où les mots de Victor Hugo claquent sur la scène portés par deux comédiens hors-pair. On rit aussi aux saillies de Gubetta, l’âme damnée de Lucrèce, (Christian Hecq). Prise à son propre jeu, Lucrèce elle sauve Gennaro, on se prend à espérer …. même si la fin nous est connu. Mais la tragédie ne lâche jamais ses proies.
Denis Podalydès crée une mise en scène au service du propos qui ne dévore pas les personnages où les costumes de Christian Lacroix apportent faste et profondeur où les masques se jouent de la vérité . On est pris par le spectacle, les rebondissements, les héros et les caractères. Nous sommes au spectacle et contents de l’être. Ne le manquez pas. Jusqu’au 20 juillet.