Je m’en allais sur les chemins sans me soucier du lendemain, vers mon fabuleux destin de journaliste-pigiste parisien dans la presse caviardo-nouvelo parisienne quand soudain je tombais de mon petit nuageo-roso et pris conscience de ma naïvo-crédulo naturelle.
Et oui je pensais qu’être publiée dans un hebdo prestigio voulait dire gage de sérieux et de professionnalisme. Je ne m’encanaille pas moi monsieur, sur les torchons d’internet qui diffusent dans le monde entier et vous payent des clopinettes ou dans les torche-culs (je ne suis pas sûre de l’orthographe) de la presse dite pipole (on dit bien gazole). Vous savez, les journaux qui ont toujours l’air de vous dire « tous ces mecs connus et bourrés de fric, tous des cons bourrés tout court, regardez-les ils sont plus nuls que vous, lecteurs assidus , seulement vous, vous êtes moins riches qu’eux et vous avez pas la fille qui est sur la photo prise par Cartier-Blaireau, de loin, d’un train, d’un hélico ou d’un bateau.»
Que nenni.
Moi, madame, je fais dans le sérieux, le solide, l gazette pour cultivés, branchés, délurés et friqués.
Et bien savez-pas, j’ai déchanto.
Explication en mots choisis et 2500 signes: (pour les non-initiés, les signes sont les lettres et les espaces compris, on est payé au nombre de signes, c’est vous dire leur importance !).
Depuis mes stages de journalisme où un professeur m’a ouvert des horizons illimités sur mes capacités rédactionnelles ( on n’est pas obligé de savoir écrire pour être journaliste), je cherche à écrire tous azimuts.
Une copine (une bonne) me recommande d’envoyer des sujets au rédac-chef d’un hebdo. Ce que je fais in petto. Réponse immédiate :banco. Moi sautant de joie aussitôt. J’aurais mieux fait de dire ciao.
Le sujet : interview de personnalités qui parlent de la ville où elles habitent.
Jusque là, rien qui ne révolutionne la presse écrite. D’après ce qui est déjà sorti, les personnalités sont connues surtout de leur concierge ou de leur digicode, mais sont issus du monde culturel (le rap est culturel, si, si). Je propose donc des femmes (« on cherche des femmes ») vivant en banlieue (« qui sont en banlieue , pour Paris, faut vraiment des connus et c’est chasse-gardée du chef de rubrique »): La directrice d’un fameux café-théâtre parisien ; et une cantatrice reconnue par les aficionados de Bastille et Garnier réunis.
OKKAY, me disent par deux fois les tenants du journal, « mais vite, il nous en faut un avant le 15 juillet ». J’interviewe, je rédactionne, je mail.
J’appelle. je rappelle… On me répond. « Oui, eeh, il manque des choses », je complète, je mail, j’appelle, je rappelle…On me répond. « Oui, eeh et la ville, topographiquement, ça se présente comment ? », je me renseigne, je complète, je mail, j’appelle, je rappelle… « et quels sont les spectacles qui ont fait le plus de spectateurs ? », je…, je me lasse un peu, mais je fais.
L’été se passe. La rentrée s’annonce. La diva me reçoit. Je rédige. Je mail. j’appelle, je rappelle, j’ interpelle. Je m’interroge. On me répond. « eeh oui, je mets vos articles de côté. Vous comprenez , on cherche des gens plutôt connus, dans l’actualité. Voyez…eeh, de quoi elle a l’air la directrice ? Normale. Oui, eeh, parce qu’on cherche du glamour. Voyez ? Non. Je me questionne. En un signe comme en 100, faut-il être beau pour passer dans le nouvelo.
« eeh, et puis à la rédaction, personne ne connaît le ; et pour ce qui est de la soprano, elle est connue? » Si je comprends bien, à part les rappeurs, ils connaissent personne dans cette turne périodique. Faut le faire. Moi c’est drôle, si je ne connais pas, je dis, « je ne connais pas ». Bien. Eux, quand ils connaissent pas, ils se gaussent en disant « c’est pas connu ça.». Evidemment. Comment ça serait-y possible qu’ils ignorent quelqu’un de connu. Ce sont des journaleux tout de même. Ce ne sont pas des bœufs.
Bref , mon article sur la walkyrie, je l’ai refait 150 fois. A la fin ça finissait par me faire rigoler. Jusqu’où on va aller comme ça ? « eeh comme c’est pas Sophie Marceau, cette dame, faut mettre avec qui elle a chanté, pour le grand public». Boulez, ça va. Voyez qui c’est ?
« eeh, voyez il faut être plus rentre-dedans avec la personne. » Oui, c’est à dire ? Dois-je me foutre carrément de la gueule de celui qui me reçoit ? En un feuillet comme en deux (cent c’est trop long, toujours trop long), oui. Ca c’est moderne, c’est tendance. M’est avis qu’ils ne vont pas se bousculer au portillon du temple de la liberté de la presse.
« eeh, et votre diva, elle ressemble à quoi ? ». Là j’ai fait fort, j’ai répondu du tac au tac. « C’est une diva ». Ca s’est envoyé, non mais, on va pas se laisser marcher sur les arpions par des maigrichons. Et encore moins par des planches à pain.
En un mot comme en cent, j’attends toujours la diffusion. Je subodore (c’est correct comme verbe) qu’il le garde pour la nécro, quand tout le monde dira (enfin les autres journaux) : « La madone de l’art lyrique français nous a quitté. »
« eeh, fallait nous dire qu’elle avait un rapport avec Madonna ! »
Pff, ces journalistes, tous des chiens, sauf mon rédac-chef qui est un saint.